Si le numérique (par son omniprésence, sa transversalité…) transforme profondément les services publics – dématérialisation des procédures, de la commande publique, relation avec l’usager…, il impacte aussi l’activité de celles et ceux qui ont en charge les DSI (directions des systèmes d’information). Les principaux intéressés le constatent, l’expertise technologique, qui pouvait à une époque caractériser le métier, ne suffit plus. Le temps des spécialistes exclusivement dédiés au « run » et au « build » (exploitation /production) est révolu, explique René-Yves Labranche, secrétaire du Coter Numérique (association regroupant de nombreuses collectivités sur ces thématiques).
La dimension pédagogique
Pour ce DSI de communauté urbaine, la communication figure aujourd’hui parmi les principales qualités requises pour exercer la fonction de DSI (directeur / directrice des systèmes d’information) dans une collectivité. Un point de vue partagé, en ce qui concerne la fonction publique d’Etat, par le responsable d’un département informatique au sein d’une direction générale d’un ministère régalien. Il est nécessaire, ajoute en substance celui-ci, au moins d’expliquer, lorsque le projet vient en négociation, ce qu’il va apporter et combien il va coûter. Il ne s’agit pas seulement de répondre à la contrainte budgétaire mais aussi de faire passer l’idée que les réglementations nouvelles ont un impact sur l’outil « système d’information » lui-même, lequel est nécessaire pour leur mise en place.
Cette dimension pédagogique, selon lui, s’impose au regard des équipes chargées de mettre en place ce projet, mais aussi vis-à-vis des hiérarchies. Elle s’intègre dans une mission plus générale dévolue aux DSI d’aujourd’hui, celle « d’acculturer » au numérique l’institution elle-même et qui doit donc conduire les DSI à s’ouvrir aux directions métiers : « les personnes se doutent que le numérique aura un impact ; il importe qu’elles connaissent la forme qu’il prendra ». Un bon exercice peut consister, si besoin, à rédiger une note administrative où seront explicités une technologie, son intérêt, ses probables cas d’utilisation…
Prendre la mesure des enjeux
Evidemment, ce rôle nécessite pour le DSI de prendre la pleine mesure des options qui s’offrent à lui. Sur ce point, les deux responsables se rejoignent : il lui faut s’efforcer d’apprendre et de comprendre « vite » un grand nombre de technologies, leurs apports, leurs contraintes, leur degré de maturité. La curiosité personnelle est donc une qualité de base (via notamment une veille exigeante de tous les instants), tout comme l’est la faculté à s’organiser pour sélectionner tel ou tel dispositif susceptible d’être retenu pour améliorer le service. Il s’agira ainsi de mesurer, entre autres, les enjeux liés à l’hyper-convergence, à Windows 10 ou au mode SaaS, mais aussi d’être prospectif et proactif. La blockchain, par exemple, apparaîtra, selon le cas ou l’administration concernée, soit comme manquant encore de maturité (donc plutôt à surveiller), soit comme intéressante à expérimenter à l’échelle locale. L’intelligence artificielle, elle, pourra être l’occasion pour un service de l’administration de s’investir et de candidater à un appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé par la DINSIC : mobiliser une équipe sur un sujet porteur et, pour les lauréats, obtenir des fonds afin d’aller plus loin.
Quant aux technologies cloud, si leur déploiement au sein des collectivités est une tendance forte (près de 40 % des applications dans certaines collectivités), elles posent un défi supplémentaire aux DSI, en termes de gestion des contrats, explique René-Yves Labranche : « tout se joue là, dans les clauses de réversibilité et de disponibilité, dans les garanties de conformité vis-à-vis du RGPD… Nos organisations manquent aujourd’hui de juristes pour nous accompagner sur ce terrain : nous travaillons encore un peu trop à l’ancienne quand les entreprises paraissent avoir dix longueurs d’avance ». Cette question contractuelle, nouvelle, semble cependant se poser avec moins d’acuité aux DSI de l’administration centrale, ceux-ci pouvant s’appuyer sur les services juridiques des ministères pour la rédaction des actes, ce qui n’est pas le cas au niveau local.
Agir comme un chef d’orchestre
Quoi qu’il en soit, tant dans le cadre d’opérations particulières que pour le bon fonctionnement quotidien, le DSI doit bien sûr disposer des qualités et compétences nécessaires à manager une équipe : « c’est parfois le plus compliqué », constate René-Yves Labranche, dans la mesure où « chacun a envie de participer aux nouveaux projets et qu’il n’y a pas de place pour tout le monde ». Pour autant, tempère le responsable du département informatique, dans certains cas, « ce sont les experts au sein de l’équipe qui apportent le plus dans les décisions que je prends », illustration de ce que le management évolue.
D’une manière générale, le manager se doit aussi « bien sûr, de connaître la fonction publique : les marchés publics, le statut, la réglementation… C’est très particulier pour qui vient du privé, c’est cependant indispensable. Mais ça s’apprend ! » En fait, concluent les deux responsables, le DSI d’aujourd’hui est un véritable « chef d’orchestre ». Un chef d’orchestre qui se doit de rester au contact des « instruments » (et de ceux qui les fabriquent), afin d’harmoniser au mieux les nuances et potentiels de chacun. Il en aura tout le loisir, lors d’AP Connect, le salon des solutions IT pour les administrations publiques (29 et 30 janvier 2019 à l’Espace Grande Arche, Paris La Défense).